Alors, vous voulez entendre mon histoire? Oh là là, je vais en avoir pour des heures! Bon, commençons par le commencement.
Cette histoire a débuté alors que je n'étais encore qu'un chaton de quelques lunes...
Je suis née bien au-delà des territoires des Clans. Dans... dans un bois, oui, un bois très loin, près d'une ville de Bipèdes. Mais je n'étais pas une chatte domestique, non, j'étais plutôt une solitaire, avec une famille de solitaires. Avant, mon nom était Emeraude, à cause de la couleur de mes yeux. 
Ah, j'ai aussi le vague souvenir d'un long, très long voyage à travers forêts et prairies. Ce voyage, je l'ai fait seule. J'étais seule, toute seule, si seule... Mais bon. La solitude, on s'y fait, et après tout, si j'ai survécu, je devais bien m'être débrouillée, sans l'aide de personne. Enfin, presque personne... Nous y reviendrons plus tard.
Je n'ai pas vécu beaucoup de temps avec ma mère et mon frère, car je ne me rappelle pas très bien d'eux. Je n'ai aucun souvenir de mon père. Nous vivions... plutôt en paix, tranquilles, sans vraiment de problèmes. La vie était rude, surtout à la saison des neiges. Mais jamais nous n'avions à souffrir de quoi que ce soit.
Tout ça c'est bien beau, mais comme dans toute histoire il y a bouleversement et tragédie, ma vie bascula du tout au tout d'un seul coup. Un jour, lors d'une violente tempête de neige, ma mère, mon frère et moi luttions pour... pour... pour avancer quelque part mais je ne me rappelle plus où. Un épais brouillard se leva soudain, et les cris et l'odeur de ma famille s'éloignèrent petit à petit. Apeurée, je me souviens d'avoir hurlé à m'en démolir la gorge. Une fois quasiment aphone, je me suis abritée sous... un tronc d'arbre mort. oui, c'est cela, un tronc d'arbre mort. J'étais... euuh... je ne sais plus, dans un bois peut-être? Puis, le blizzard s'est levé et ensuite, le trou noir. Je ne me rappelle plus de rien. Je me suis réveillée dans une clairière enneigée, perdue. Transie, le pelage ébouriffé et gelé, j'ai titubé jusqu'à un talus glissant. Et j'ai dérapé.
J'ai plongé sur une croûte de glace qui s'est fendue sous moi, libérant ses eaux glaciales. Hurlante, j'ai dérivé dans les flots froids et puissants jusqu'à une petite cascade. Des rocs saillaient au-dessus des vagues. J'ai tenté de m'en approcher et j'ai tendu la patte vers la pierre la plus proche, voulant m'y accrocher pour m'extirper du liquide traître. Là, une branche a surgi dans mon champ de vision et a heurté ma patte, l'écrasant entre le bois et la roche. J'avais tellement mal que je n'arrivais plus à respirer. Mais entretemps, le tronc s'était coincé au niveau les rochers immergés, l'un de ses bouts reposant sur la rive. Dans mon esprit embrumé par la souffrance et la tristesse, j'y vis une passerelle salutaire menant à la terre ferme. Je m'y suis cramponnée avec difficulté, ma patte non valide étant recourbée sous mon ventre et tachée de sang, tout à fait inutilisable. Malgré l'écorce lisse et luisante d'humidité, je m'en suis sortie à peu près correctement. Les yeux plissés par l'effort, j'ai sauté sur une plage de galets mouillés, où je me suis effondrée, évanouie.
C'est une chouette qui m'a sauvé. Une chouette effraie.
Cette chouette, nommée Falia, traquait une souris dans les bois quand elle m'a aperçu. Petit tas de fourrure grelotante, rouge de sang et blanche de givre. Elle m'a prise en pitié, m'a conduite dans son nid chaud et douillet, et choyé et guéri. Malheureusement, ma patte, gravement atteinte, ne se redresserait jamais. Alors j'ai pris l'habitude de la replier contre moi, comme lors du moment où je m'étais agrippé à cette branche pour ne pas tomber.
L'effraie me demanda mon nom. Au début, j'avais peur d'elle, avec ses énormes disques faciaux couleur immaculé, ses yeux noirs et ses surprenantes griffes, plus longues que celles de n'importe quels chats. Je n'osais pas lui parler. Un soir, cependant, j'ai ouvert la gueule et prononcé un seul mot. "Emeraude". Et c'est là que notre relation commença.
Peu à peu, je me suis attachée à elle. On vivait ensemble, on s'amusait, on se parlait, on chassait. Puis vint un jour, où j'étais adulte, et où elle, devenue vieille, mourra. Falia me dit: "N'oublie pas, Emeraude, que la clé des légendes, n'est que le souvenir du passé d'une vie". Puis elle s'est éteinte, comme ça, sans un bruit. Choquée et interloquée par le mystère contenu dans ces mots, j'ai versé quelques larmes. Puis, j'ai retiré de son fabuleux plumage une unique plume, issue de ses couvertures, les rémiges rousses tachetées situées sur le dos des effraies. Celles de Falia étaient particulières: d'un ambre chaud, profond, et tachetées de gracieuses taches sombres. Je l'ai piqué sur mon oreille droite, afin de l'honorer, et me suis renommée Ambre, pour elle. Je m'en suis retournée à une vie solitaire, avant de rencontrer le Clan de la Plaine. Le lieutenant de l'époque m'avait gentiment accueilli en son sein.
J'ai pris le nom de Nuage de l'Ambre, puis de Plume de l'Ambre, toujours en mémoire de Falia.
Depuis je travaille dur pour mériter ma place dans le Clan. Et quand on me questionne sur mon passé, je me contente de dire: "Mon passé n'est que la clé d'une légende. Qui sait, un jour, quelqu'un la racontera?"